« Cambriolés, braqués, séquestrés… Depuis quelques mois, les bijoutiers, joailliers, horlogers et orfèvres sont au bord de la crise de nerfs. Selon nos informations, ces commerçants très exposés ont été déjà la cible de 327 agressions en tous genres entre le 1er janvier et le 31 octobre dernier, dont 191 vols à main armée. Soit une moyenne d’environ un hold-up tous les deux jours! Un bilan statistique consolidé par les fédérations professionnelles et porté à la connaissance du Figaromet en évidence que ces attaques se sont soldées par un taux d’échec de 15,6 %.
«La nouvelle génération de braqueurs de bijouterie est composée de voyous peu aguerris et d’autant plus dangereux qu’ils montent sur des coups en fonction de l’opportunité du moment, sans préparation et avec fébrilité, rappelle Doron Lévy, consultant spécialisé dans la gestion des risques et auteur d’une étude sur le hold-up pour le CNRS. En cas de résistance, ils n’hésitent pas à employer la force, frappant et blessant, au risque d’en arriver à des fins tragiques…».
Face à des voyous armés de fusils à pompe, de haches, de masses ou encore de répliques d’armes de poing plus vraies que nature, les commerçants ont la tentation de réagir. Comme à Marseille où, le 29 octobre dernier, un bijoutier s’est jeté sur son assaillant qui venait de l’asperger au visage de lacrymogène. Après avoir écopé d’un vilain coup à la tête, le braqueur était reparti bredouille. Ce jour-là, assure un commissaire, une tragédie a été évitée de justesse.
À Toulouse, Lyon ou encore Strasbourg, nombre de commerçants ne rechignent plus à s’armer pour se défendre. «Si les employés ont pour consigne de ne pas résister en cas d’agression, de plus en plus de patrons emploient la manière forte pour protéger leurs biens, constate Jacques Morel, ancien général de gendarmerie devenu référent sûreté de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et pierres précieuses (BJOP). Ils n’hésitent pas à employer toute la panoplie des armes non létales telles que les gaz incapacitants ou encore des armes électriques, quand ils ne font pas l’acquisition de pistolets ou de revolvers de calibre 9 mm.» Pour cela, certains formulent une demande en préfecture après s’être inscrits dans un club de tir, où ils sont contraints à quatre séances d’entraînement par an dans un stand. D’autres réclament des permis de «défense de domicile ou de commerce», qui leur sont accordés au compte-gouttes en fonction des risques courus, de leur casier judiciaire (qui doit être vierge) et après une visite médicale établissant leur stabilité psychologique.
«Ce n’est parce que des professions sont exposées que l’on va transformer certaines régions du territoire en Far West», tempère-t-on au ministère de l’Intérieur, où l’on garde en mémoire la calamiteuse affaire de ce bijoutier de Nice qui avait tué, en septembre dernier, l’un de ses deux assaillants âgé de 19 ans. Le tireur, qui ne détenait pas de permis de port d’arme, n’avait pas bénéficié de la légitime défense. «Cette affaire, comme celle de Sézanne, constitue un signal fort, observe Jacques Morel. Les malfaiteurs, toujours aiguillonnés par le prix de l’or, qui atteint un niveau très attractif, se rendent compte qu’ils ne peuvent plus débarquer dans les boutiques en toute impunité, sans risquer de se faire blesser ou de finir dans un cimetière…»
Selon les experts de la sécurité, le meilleur moyen de lutter contre les agressions est d’éviter les intrusions en équipant les enseignes de «sécurités passives». C’est-à-dire en renforçant le blindage des vitrines, la vidéosurveillance et en installant des sas, des présentoirs escamotables ou encore des portes blindées équipées de gâches électriques. Désormais, ces parades absorbent 30 % du budget. Au risque de transformer des boutiques censées faire offrir du rêve en de repoussants bunkers. Pour éviter ce piège, les professionnels, qui animent des réseaux d’alertes par SMS avec les forces de l’ordre, expérimentent de nouveaux procédés tels que des vaporisateurs qui arrosent les agresseurs de microparticules fluorescentes que l’on peut révéler à l’ultraviolet, même plusieurs mois après. Mais le système, qui a notamment fait ses preuves en Seine-Saint-Denis, reste balbutiant. »